PAUVRE DIANA !
Ghislaine Ribeyre
Paris Match – février 2003
« Le soir de son anniversaire, Diana avait rendez-vous avec son amant. Elle portait ses boucles d’oreilles en saphir et diamant et elle était absolument superbe. Elle a retiré tous ses vêtements, puis elle est partie le retrouver vêtue uniquement de son manteau de fourrure. » Ce récit piquant n’est pas issu de l’imagination d’un écrivain de littérature polissonne, mais des confidences d’un majordome anglais, archétype de réserve et de discrétion. La jeune femme en question n’est autre que la princesse de Galles. C’est le monde à l’envers: un domestique fait trembler la monarchie britannique. Pour la presse anglaise, ce « Jeeves Gate» est tout simplement le plus gros scandale autour de la famille royale depuis la mort de Diana. Les ingrédients sont épatants : amants cachés dans le coffre d’une voiture, mensonges, mariage secret, accusations de viol. Rien ne destinait pourtant Paul Burrell, 44 ans, ancien majordome de Diana, à être celui par qui le scandale arrive. Entré à Buckingham à 19 ans comme valet de la reine chargé de l’entretien des chaussures, il s’est vite élevé dans la hiérarchie, devenant son valet de pied personnel, puis le majordome de Charles et Diana. Une vraie perle, monarchiste jusqu’au bout des ongles. La dévotion même. La perfection de sa révérence, la tête inclinée ni trop ni trop peu, faisait l’envie de ses collègues.
Quand le couple princier se sépare en 1993, Diana inscrit Paul Burrell en haut de la liste de ceux quelle souhaite emmener avec elle. Il devient son majordome, son confident, son « rocher», dit- elle. Son entourage note même un curieux mimétisme entre l’employeuse et l’employé: il lui a emprunté son fameux «regard en dessous» et sa façon d’incliner la tête. Après l’accident du pont de l’Alma, c’est lui qui l’habille et la prépare pour les funérailles. Sa patronne disparue, Burrell reste un serviteur fidèle. Alors que d’autres monnaient leurs souvenirs, son livre de révélations, « Recevoir avec style », dévoile de bien pauvres secrets, de la préférence de la Reine pour les serviettes de table blanches pliées en fleur de lys à l’art de manger royalement une banane avec une fourchette et un couteau. Il n’en dira pas plus, car « la confiance et la loyauté n’ont pas de prix ». En janvier 2001, coup de théâtre: le majordome est accusé d’avoir volé plus de trois cents objets à Diana dans l’intention de les revendre. Chez lui, la police trouve un drôle de bric-à-brac : des vêtements, des photos, des lettres. «Des cadeaux », jure-t-il. Quand le procès s’ouvre mi-octobre, il risque la prison. Mais alors qu’il est sur le point de témoigner à la barre, Elisabeth Il fait savoir qu’elle l’avait autorisé à mettre à l’abri certains objets lors d’une conversation privée, six mois après la mort de Diana. A ceux qui ironisent sur les réminiscences opportunes de la Reine douze jours après le début du procès, le palais répond que Sa Majesté est « trop occupée pour lire les journaux ». Le procès est annulé et Burrell, innocenté, peut garder ses secrets. Mais le majordome en a assez d’être un gentleman: humilié, ü va régler ses comptes à coups de révélations.
Dans les écoles pour majordomes d’Angleterre, qui approvisionnent en serviteurs stylés le reste de la planète, les élèves apprennent les bases du métier: repasser les journaux du matin pour qu’ils ne tachent pas les mains, veiller à l’alignement de l’argenterie, ajouter la bonne dose d’eau de Seltz au whisky. Il va falloir réviser les programmes car, d’après Paul Burrell, les tâches d’un majordome royal sont beaucoup plus diverses : acheter des magazines de charme pour le prince William qui, à 14 ans, « était très intéressé malgré son jeune âge », ou encore redécorer la chambre d’hôpital où Charles se remet d’un accident de chasse avec des tableaux et des meubles amenés en toute hâte de Highgrove. Ce qui est tout de même peu de chose comparé aux attributions du valet du prince de Galles, chargé de « tenir le flacon quand le prince doit donner un échantillon d’urine ». Burrell doit aussi couvrir Charles quand celui-ci reçoit Camilla : « Il m’a un jour jeté un livre à la tête en me disant de ne jamais parler de ses activités à Diana, à qui j’avais dû avouer la veille qu’il était sorti. Je lui ai demandé s’il voulait que je mente pour lui, il m’a dit oui.»
La vie princière prend parfois des allures de vaudeville: les domestiques font sortir Diana par la porte principale et entrer Camilla par l’arrière. Après la séparation, quand Diana s’installe à Kensington Palace, le majordome est en service 24 heures sur 24. Parmi ses nouvelles attributions, faire entrer discrètement les «invités masculins » de la princesse : «Je les amenais au palais dans ma voiture, cachés sous une couverture ou dans le coffre, en passant par la cour de la princesse Margaret qui n’était pas équipée de caméras de surveillance.» Burrell fait le point sur les amours de Diana elle n’avait pas l’intention d’épouser Dodi, «un homme très gentil, très doux, qui la gâtait beaucoup », mais avec un fâcheux penchant pour la cocaïne. «Elle m’a fait remarquer qu’il passait beaucoup de temps enfermé dans la salle de bains.» Si elle était avec lui, explique l’omniscient majordome, c’était pour rendre jaloux son véritable amour, Hasnat Khan, un chirurgien d’origine pakistanaise, son « âme soeur», qui avait rompu après une liaison de deux ans. Pour lui, elle était prête à toutes les folies : partir le retrouver nue sous son manteau de fourrure, vouloir aménager au palais une salle avec téléviseur géant « pour regarder le football » et un réfrigérateur « pour la bière ». Son majordome aura beaucoup de mal à l’en dissuader: «Elle pensait que tout était possible et ne voyait pas l’énormité des problèmes auxquels elle faisait face.» Elle envoie Paul chercher Hasnat Khan quand il ne répond pas à ses coups de téléphone : Burrell écume alors les restaurants et les pubs aux alentours de l’hôpital où travaille le chirurgien. Elle lui fait aussi porter des lettres: «C’était embarrassant car je devais attendre à la réception pendant qu’on le bipait : il était parfois interrompu pendant des opérations. » Burrell est un jour chargé d’une mission particulière : se renseigner auprès d’un prêtre catholique sur les possibilités d’organiser un mariage secret. Il s’acquitte de sa tâche, et rapporte que, « pour des raisons légales », il semble difficile de célébrer, même dans le plus grand secret, un mariage catholique entre la mère du futur chef de l’église anglicane et un musulman.
Burrell réserve l’essentiel de son fiel aux Spencer, la famille de Diana, qui l’ont « trahi » en témoignant contre lui au procès. Un jeu de massacre : entre la mère qui reprochait à Diana ses relations avec des musulmans dans «un langage qu’une mère ne devrait pas employer avec sa fille », le frère qui a refusé de l’accueillir après son divorce mais qui est « aujourd’hui ravi d’héberger sa tombe sur son domaine, devenu une des plus grosses attractions touristiques du pays », et les soeurs jalouses qui ont pillé sa garde-robe après sa mort, les Spencer sont habillés pour I’hiver. Malheureuse, Diana racontée par son majordome est aussi une femme fofolle et généreuse, capable de faire arrêter la voiture pour donner son manteau de fourrure à un mendiant. Ravie de se faire de l’argent de poche en revendant ses vieux vêtements, elle baptise les billets de banque à l’effigie de la Reine selon leurs couleurs, « mamies bleues » pour ceux de 5 livres, « mamies marron » pour ceux de 10, et s’amuse quand les petits princes lui réclament des « mamies roses» de 50 livres. Les jours de pluie, elle emmène Paul en virée dans le quartier de Paddington et distribue de l’argent aux prostituées en leur demandant de rentrer chez elles. Quand elle est d’humeur espiègle, elle va acheter des tests de grossesse à visage découvert à la pharmacie du coin pour affoler les tabloïds, mais se fait prescrire des somnifères en utilisant le nom de la femme de Paul. « Ce grand déballage n’a pas pour but de discréditer Diana, assure le majordome; mon deuxième nom est loyauté. » Il confesse d’ailleurs être « hanté » par la princesse morte; interviewé à la télévision, il pleure en espérant qu’« elle l’approuve de là-haut ». Mais sa véritable idole est la Reine, seule rescapée du règlement de comptes, une femme «chaleureuse, intelligente et sage». Elle lui a d’ailleurs confié avoir essayé de se rapprocher de Diana mais, lui aurait répondu le majordome amateur de bonnes formules, «Votre Majesté, vous parlez en noir et blanc. La princesse parlait en couleur ». Elisabeth II l’a alors mis en garde contre de mystérieux « pouvoirs à l’oeuvre dans ce pays dont nous n’avons pas connaissance ».
Parlait-elle de « l’affaire de la cassette »? Les policiers, qui ont fouillé la maison du majordome, lui avaient dit être à la recherche des « joyaux de la Couronne », en l’occurrence un coffret dans lequel Diana cachait des documents: des lettres « cruelles et insultantes » écrites par le prince Philip qui traite sa belle-fille de « putain » et de « traînée », et surtout un enregistrement de trente minutes réalisé par Diana en 1996. Un ancien domestique du palais royal y raconte avoir été violé par un employé de Charles. D’après Burrell, la princesse en aurait parlé à son ex-mari pour s’entendre répondre qu’elle écoutait trop «les ragots de bas étage». Après sa mort, la cassette a mystérieusement disparu. La presse se déchaîne : la Reine aurait-elle « sauvé » Burrell pour l’empêcher de mentionner la cassette devant le tribunal? Si c’est le cas, c’est trop tard: la victime supposée parle à son tour. George Smith, 42 ans, confie à un quotidien que Charles, au courant de ses accusations, a étouffé l’affaire et refusé d’alerter Scotland Yard. Smith a quitté son emploi avec une indemnité; l’accusé, Michael Fawcett, qui nie en bloc, est devenu entre-temps conseiller personnel du prince. Mais la descente aux enfers de la monarchie britannique ne s’arrête pas là: Smith révèle que la fameuse cassette contient aussi « une accusation plus grave encore concernant un membre de la famille royale ». Qui? La Grande-Bretagne retient son souffle dans l’attente du prochain scandale. Certains supposent d’ailleurs que le majordome n’a pas dévoilé tous ses secrets : n’a-t-il pas vendu son histoire pour « seulement » 500 000 euros, alors qu’un autre quotidien lui en offrait trois fois plus? Accusé d’avoir vendu son âme par les journaux qui n’ont pas pu l’acheter, Paul Burrell a vu sa vie privée saccagée par des révélations de liaisons homosexuelles datant d’avant son mariage. Une chaîne américaine lui aurait proposé de présenter un jeu télévisé sur les scandales royaux. Burrell ne retrouvera de toute façon jamais d’emploi dans une bonne famille anglaise : un majordome bavard est un majordome mort.
Merci pour vos commentaires