Le capitaine Hosenfeld, un officier allemand cantonné à Varsovie, évoque, dans son journal intime, le sort des juifs et les premières rumeurs d’extermination : « Varsovie, le 23 juin 1942
En lisant les journaux et en écoutant les nouvelles à la radio, on pourrait avoir l’impression que tout va très bien, que la paix est proche, que la guerre a déjà été remportée et que l’avenir du peuple allemand est des plus prometteurs. Quant à moi je n’arrive simplement pas à y croire. Ne serait-ce que parce que l’injustice ne peut triompher à long terme, et parce que la manière dont les Allemands gouvernent les pays qu’ils ont conquis provoquera tôt ou tard une résistance. Il me suffit de voir ce qu’il en est ici, en Pologne. On ne nous dit certes presque rien, mais nous pouvons tout de même nous former une image assez claire de la situation grâce à toutes les conversations et à tous les commentaires que nous arrivons à entendre. Et si les méthodes d’encadrement, l’oppression des autochtones et les menées de la Gestapo sont ici particulièrement brutales j’imagine qu’il en va sans doute de même dans les autres territoires conquis.
Partout la terreur ouverte, partout l’usage de la force, les arrestations… Chaque jour, on rafle les gens, on les fusille. La vie d’un être humain, et a fortiori sa liberté individuelle, est devenue quantité négligeable. Seulement l’amour de la liberté est enraciné en chaque individu, en chaque nation. Elle peut être niée temporairement mais non à jamais. L’Histoire nous enseigne que les tyrannies ne durent pas. Et maintenant nous avons un crime de sang sur notre conscience, l’assassinat affreusement injuste des habitants juifs de ce pays. Il y a une entreprise d’extermination des Juifs qui est en cours. Tel a été l’objectif de l’administration civile allemande depuis l’occupation des régions orientales, et ce avec l’aide active de la police et de la Gestapo, mais il semble qu’il doive s’appliquer maintenant, de façon radicale, à une plus vaste échelle encore.
De sources différentes et toutes dignes de foi, nous apprenons que le ghetto de Lublin a été vidé, que les Juifs ont été tués en masse ou chassés dans les forêts, et que certains d’entre eux ont été emprisonnés dans un camp proche Des témoins venus de Lietsmannstadt et de Kutno racontent que les Juifs, hommes, femmes et enfants, sont asphyxiés dans des unités de gazage mobiles, que les cadavres sont dépouillés de leurs habits avant d’être jetés à la fosse commune et que ces vêtements sont ensuite recyclés dans des usines textiles. On rapporte des scènes effrayantes de là-bas. Mais il y a maintenant des témoignages selon lesquels le ghetto de Varsovie subirait en ce moment le même sort. Quatre cent mille personnes y sont enfermées et ce seraient des bataillons de miliciens lituaniens ou ukrainiens qui seraient chargés de l’opération, à la place des policiers allemands. Il est difficile de croire de telles choses et pour ma part j’essaie de ne pas leur accorder de crédit, non pas tant par inquiétude pour l’avenir de notre peuple, qui devra expier ces monstruosités un jour ou l’autre, mais parce que je n’arrive pas à penser qu’Hitler poursuive un but pareil, ni qu’il y ait des Allemands capables de donner de tels ordres. Si c’est par malheur le cas, il ne peut y avoir qu’une explication : ce sont des malades, des anormaux ou des fous. »
Capitaine Wilm Hosenfeld,
officier de la Wehrmacht à Varsovie
cité dans Wladyslaw Szpilman, Le pianiste, L’extraordinaire destin d’un musicien juif dans le ghetto de Varsovie 1939-1945, Robert Laffont, 2001
Le capitaine Hosenfeld a sauvé la vie du musicien juif Szpilman qu’il avait découvert dans les ruines de Varsovie, quelques semaines avant la fin de la guerre et qu’il a aidé à se cacher. Je recommande la lecture du livre de Wladyslaw Szpilman, Le pianiste, L’extraordinaire destin d’un musicien juif dans le ghetto de Varsovie 1939-1945, Robert Laffont, 2001Source : http://pagesperso-orange.fr/d-d.natanson/temoignages.htm
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